Adolphe Wurtz, chimiste, est né à Strasbourg en 1818; il est mort à Paris le 12 mai 1884, professeur et doyen de la Faculté de Médecine, professeur à la Sorbonne, membre de l'Institut et de l'Académie de Médecine, sénateur, maire du VIIe arrondissement
de la capitale.
De bonne heure, il accepta les nouvelles doctrines chimiques qui commençaient à s'imposer avec Dumas, Laurent, Charles Gerhardt, et après s'être fait recevoir docteur en médecine, il se tourna spécialement vers l'étude de la chimie et devint agrégé de l'École de médecine de Paris, après un concours des plus brillants. De mémorables découvertes ont marqué sa carrière. Celle des ammoniaques composées le placèrent au premier rang. Peu après, il découvrit les radicaux alcooliques mixtes et imagina pour cela une réaction qui, après lui avoir servi à faire les premières synthèses régulières d'hydrocarbures, a été employée depuis pour obtenir de nombreux carbures aromatiques et fonder sur une base expérimentale la nature de ces composés.
La découverte des glycols et de l'oxyde d'éthylène est son grand titre de gloire. En précisant et en fixant l'existence d'alcools polyatomiques, il étendit la théorie des types, et prépara l'évolution chimique, en en montrant la raison d'être dans la propriété des atomes qu'on appelle leur atomicité ou leur valence. Cette découverte fut suivie de celles de synthèses de bases oxygénées, parmi lesquelles la choline ou névrine est particulièrement intéressante, à cause de son existence dans l'organisme animal. Notons encore ses études sur la combinaison de l'acide iodhydrique avec l'amylène, la découverte des alcools tertiaiares, de l'aldol.
Professeur éloquent, par la vivacité de sa parole, la clarté de son exposition, Wurtz émerveillait et captivait ses nombreux auditeurs. En enseignant, il marchait constamment et faisait un nombre considérable de pas. On a calculé que pendant une heure que durait chacune de ses leçons, il parcourait ainsi plus de six kilomètres. Il a professé pendant trente-cinq ans. A raison de quatre cours par semaine et de quarante semaines par ans, cela donne un joli chiffre abattu, s'élevant à 16 600 kilomètres, soit pus de dix-sept fois la plus grande longueur de la France, qui, du Nord au Sud, par le méridien de Zuycoot au col d'Arrès, mesure 976 kilomètres ou 244 lieues. C'est le compte fait par un de ses plus fidèles préparateurs.
On peut rapporcher de cet itinéraire fabuleux celui qu'accomplissait Lord Palmerston qui, chaque soit, en jouant au billard pendant deux heures consécutives, avait parcouru un espace valant cinq kilomètres, avant de se mettre au lit, et cela après une journée des plus actives et des plus remplies.
Les laboratoires de l'École de Médecine et de la Sorbonne, que Wurtz dirigeait, furent toujours ouverts aux chercheurs et aux jeunes gens. Il y travaillait publiquement, de manière à faire profiter de ses recherches ceux qui l'entouraient. Il semait les idées à pleines mains et il était aussi fier d'une découverte faite par l'un de ses élèves qu'il était modeste pour les siennes propres. M. Ch. Friedel, gendre de Combes, digne successeur de Wurt à l'Académie des Sciences, a raconté quelle large part ce grand corps savant prit aussi dans ses préoccupations. Rarement, il se passait une séance sans qu'il entendît sa voix vibrante, soit qu'il prît part à l'une de ces discussions célèbres, dans lesquelles il déployait toute sa verve, inébranlable dans ce qu'il regardait comme vrai, tenant tête à tous, même Dumas, son maître. Il avait le feu sacré de la science.
Wurtz a laissé un traité de chimie biologique, un traité de chimie atomique et un dictionnair de chimie, qui sont devenus des œuvres classiques.
Le portrait de notre livre a été excécuté sur une gravure faite sur nature en 1880, ayant appartenu à mon père.
Georges Barral
Le Panthéon scientifique de la tour Eiffel
Nouvelle librairie parisienne, Albert Savine éditeur, Paris, 1892.
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