Ce qu'il falloit trouver...
Cette question contient six difficultez qui sont toutes fort difficiles, ausquelles un excellent homme a fait les responces qui suivent, dont la premiere appartient à l'aymant : l'ay veu que ceux qui se servent d'aymant le tiennent dans de la limeure de fer, parce qu'ils croyent qu'il s'y conserve mieux, comme en son élement : si cette supposition est vraye, l'on peut dire que toutes choſes suivent ou attirent ce dont elles sont nourries ou engendrées : de là vient que les Metallistes disent que l'or attire le vif argent, & que le cuivre s'attache, & se prend au fer, qu'ils tiennent se convertir en cuivre. Quant à l'autre partie, ils disent que le fer qui est bien fin se tourne vers le Pole, encore qu'il ne soit pas frotté d'aymant, ce qu'ils asseurent que l'on experimente en mettant une broche de fer sur du liege dans l'eau, dont l'une des pointes se tourne vers le Pole, quoy qu'avec moins de vigueur, & de promptitude, que si elle estoit frottée d'aymant. Mais cette experience ne donne pas la solution de la question, c'est pourquoy il faut reserver ceste difficulté pour un traité particulier.
La 2. question propose le flux de la mer, auquel on peut ajoûter celuy de plusieurs fontaines qui en sont bien éloignées : or ce mouvement se rapporte à celuy du cœur, que l'on appelle de Systole & de Diastole, comme si le grand corps de la terre étoit anime : ce qui merite encore des discours particuliers, aussi bien que la saleure de la mer, qui peut avoir esté engendrée dés le commencement du monde, sans qu'il ſoit besoin d'avoir recours à des sources salées, que l'on peut aussi mettre dans des estangs fort éloignez de la mer, qui font salés: peut-estre que ceste salure vient de quelques terres salées qui se destrempent, se fondent, & se meslent parmy l'eau.
Quant au mouvement perpetuel, je le mets au rang de la pierre philosophale, & de plusieurs choses semblables, où quantité d'esprits s'amusent, & se perdent, non seulement parce que ce qui a commencement a fin, mais parce que choses égales ne peuvent vaincre choses égales, puisque ce qui agit doit estre plus fort que ce qui patit.
La raison pourquoy la glace nage sur l'eau, est difficile à trouver, d'autant que le froid condense, si ce n'est l'on die qu'il se fait une certaine repetition de cercles en toutes choses, de sorte que quand elles sont arrivées à un certain point, elles declinent & vont au contraire de ce qu'elles étoient, comme l'on experimente à la fièvre, dont le froid se tourne en chaleur, & dans la douleur, qui devient insensible quand elle est trop grande : ce qui peut aussi arriver au froid qui condense jusques à un certain degré, par delà lequel il commence à rarefier : c'est pourquoy l'on peut dire que la glace est plus rare que l'eau : de là vient que I'on trouve des pores sensibles dedans, quand on la rompt, parce que l'air s'y est enfermé.
La derniere difficulté regarde la volonté, qui a une telle societé & correspondance avec l'entendement, qu'elle le suit, encore qu'il se trompe, d'où ceste sentence a pris son origine, Inter visa, vera an falsa sint, ad animi assensum nihil interest. Or il faut considerer que celuy mesme qui entend est celuy qui veut, & que ce ne sont pas deux ; & qu'il faut juger de cette question, comme de toutes les autres choses, que nous separons par abstraction, en en parlant comme de choses distinctes en leur estre, ce qui est cause du grand mesconte que nous faisons, & qui nous meine à une infinité d'absurditez ; c'est pourquoy j'emploirois icy volontiers vne decision semblable à celle qui se lit dans Aulus Gellius, Huius tam arguta de lectabilisque desidia eculeos cùm audiremus, nec finem ullum quarendi esse, philosophandum est pauris nam omnino haud placet. C'est la la response de cet excellent homme aux 6 questions precedentes, dont chacune merite un traité entier ; l'on peut cependant lire Gilbert & Cabée pour la premiere, & Duret pour la 2, & pour la 3. Mais je parleray plus exactement de l'aymant dans une autre question.
Marin Mersenne Questions inouës ou récréation des savants
Paris, 1634.
|