Ce qu'il falloit trouver...
L'on en trouve qui se vantent d'avoir des secrets de la Chine, de la Perse, ou des autres Provinces estrangeres, qui leur apprennent à marcher sur l'eau sans se mouiller les pieds. Mais ils sont ordinairement si despourveus de science et de raison, que l'on n'a envie de les ouir, ou de les voir pour la seconde fois. Je laisse donc leurs secrets à part pour les credules, afin d'expliquer la maniere dont on peut marcher sur l'eau, ou plustost dans l'eau.
Car il faut necessairement enfoncer dans l'eau, quoy que l'on use de bottes doubles, que l'on enfle, et qui font que l'on n'enfonce que jusqu'à la cienture, ou à la moitié des cuisses, plus ou moins, selon la capacité des bottes qui sont pleines d'air : ce que l'on peut suppleer avec plusieurs vessies ou morceaux de liege, etc. Mais tout cela ne fait pas marcher sur l'eau, puisque l'on enfonce, et est tout à fait inutile , parce que l'on peut avoir un batteau aussi aisé à porter que ces bottes, lequel servira beaucoup mieux. Or au lieu de s'amuser à vouloir marcher sur l'eau, l'on peut considérer si le corps d'un homme est plus pesant que l'eau, et de combien : et s'il est plus pesant comme il peut demeurer sur l'eau sans enfoncer entierement : et si'l est plus leger, comment il se peut noyer, et comme il peut aller au fond. L'eau qui l'enleve malgré qu'il en ait, quand il veut prendre pied, semble prouver qu'il est pus leger ; mais cela vient de l'air, qui est dans le poulmon, ou dans les autres parties du corps : car quand l'eau a chassé l'air de dedans le corps, et qu'elle a occupé sa place, il va au fond.
Et plusieurs croyent que qu'il n'y a nul corps
palpable, et visible, excepté l'air, qui ne soit plus pesant que l'eau, et consequemment qu'il n'y a que le seul air, qui est contenu dans les pores de toutes les especes
de bois, ou des autres corps qui nagent, qui les empesches d'aller à fond.
Si cela est véritable, il y a moyen de sçavoir combien il y a d'air dans chaque corps, mais il faudroit examiner si l'on peut aussi trouver
par mesmes raisonnements de combien l'air est plus leger que l'eau.
Marin Mersenne Questions inouës ou récréation des savants
Paris, 1634.
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