Ce qu'il falloit trouver...
Il est beaucoup plus aisé de conter les cheveux de la teste que les grains de sable de la mer, et neantmoins la septiesme question fait voir que le nombre du sable est facile à trouver. Or il n'y a pas tant de cheveux en la teste que plusieurs croyent, car l'expérience fait voir qu'il n'y a pas plus de trois cheveux dans la longueur d'une ligne, et consequemment qu'il n'y en peut avoir que 432 dans une ligne longue d'un pied, soit qu'on la prenne droite, ou circulaire. D'ailleurs la place des cheveux de la plus grosse teste n'a pas plus d'un pied en quarré, par consequent on ne peut avoir tout au plus que 186624 cheveux, dont on ne peut oster la moitié pour la teste de plusieurs. Mais c'est une chose admirable de considerer la Providence divine, qui a conté tout nos cheveux, comme nous lisons dans le 10. chapitre de S. Mathieu, et ailleurs. A quoy l'on peut ajoûter qu'il est aisé de sçavoir le nombre des cheveux de tous les hommes, pouveu que l'on sçache, ou que l'on suppose le nombre des generations.
Quelques-uns se servent de ce nombre de cheveux pour prouver qu'il ne peut y avoir un nombre infiny d'hommes, ou d'autres individus, parce qu'il est certain qu'il y auroit encore plus de cheveux que d'hommes, et par consequent il y auroit un nombre plus grand que l'infiny. Mais on peut dire la mesme chose des grains de sable, puisque chacun a encore une infinité de parties, car il est divisible à l'infiny : de sorte que l'on peut dire qu'un grain de sable a autant de parties que tout le monde : ce qui fait que quelques-uns ne veulent pas admettre pour un veritable principe que le tout est plus grand que sa partie, quoy que l'on aie recours aux parties egales, et aux proportionnels ou aux Arithmetiques et Geometriques pour leur respondre. Quoy qu'il en soit, il faut avouër que l'infiny trouble tellemenent nos raisonnements par l'excez de sa grandeur, qu'il n'y a nulle analyse Geometrique qui y puisse remedier, d'autant qu'il surpasse la force, et la subtilité de tous les esprits des hommes, comme l'on apperçoit d'autant plus evidemment que l'on y pense plus serieusement.
Corollaire
Si quelqu'un reprend ma diligence à conter les cheveux, qu'il se souvienne qu'un Chrestien ne doit pas avoir honte d'imiter la Providence divine, et qu'il n'y a rien de si mince, ny de si vil dans la nature et dans l'homme qui ne merite des speculations de cent ans. Ce que je monstrerois aisement si je voulois considerer la figure des cheveux, que l'on tient estre quarrée, triangulaire, etc. ce que l'on esprouve avec ces petites lunettes, qui leur font prendre la forme, et la grandeur apparente d'un chevron ou d'une pique : et si je voulois examiner s'il sont creux, comme plusieurs croyent en quelle maniere leurs parties sont unies les unes aux autres, comment les vapeurs commencent à former leur racine, et plusieurs autres difficultez qui meritent des livres entiers.
Marin Mersenne Questions inouës ou récréation des savants
Paris, 1634.
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