Ce qu'il falloit trouver...
Puisque les corps qui sont de mesme pesanteur que l'eau demeurent au mesme lieu où ils sont posez entre deux eaux ; si l'on fait un bateau, ou un navire, qui soit tellement chargé, soit de pierres, de fer, ou d'autres choses, qu'il pese autant qu’aussi gros d'eau comme est ledit bateau, il demeurera sous
l'eau en tel lieu que l'on vousdra ; & si on le met à fond, il n'en reviendra pas si on ne luy ayde : mais on pourra le faire aller sur ledit fond par le moyen de plusieurs roues, ou roullettes, & de certains ressorts qui seront dedans, & dehors : quoy qu'il soit plus à propos de faire le vaisseau plus leger que l'eau,
afin qu'on le remette aysement sur l'eau toutesfois & quantes que l'on voudra, soit pour changer l'air de dedans, de peur qu'il ne fe corrompe, ou pour d'autres saisons, & d'autres occurrences.
Or il est aisé de faire des fenestres de chrystal, de verre, de talc, ou de quelque autre matiere diafane en plusieurs endroits du navire, afin d'y voir clair, & d'avoir le plaisir de conſiderer toutes les especes des poissons qui nagent dans la mer, & de remarquer leurs mouvemens differens, & quant les refractions des rayons du Soleil, ou des autres lumieres qui se font à l'entrée de l'eau. Il est tres-aisé de cognoistre combien le bateau est plus leger que l'eau avant que de l'enfoncer dedans, puisqu'il est plus leger de toute la partie qui sort hors de l'eau ; supposons maintenant qu'il soit plus leger de cent livres ou qu'il faille cent livres pour le faire enfoncer jusqu'à fleur d'eau, ou dans tel autre lieu de l'eau que l'on voudra : il est certain que l'on le mettra à fond par une force, ou par un poids de cent une livre & qu'il remontera si tost qu'on l'aura soulagé de deux livres de sorte que la plus grande difficulté consiste à le tenir en tel estat entre deux eaux, qu'on le mene par tout ou l'on voudra, & aussi viste qu'il sera necessaire en le faisant tousjours demeurer eloigné du fond, ou de la surface superieure de l'eau ; selon la raison donnée.
Quant à l'air, l'on ne peut sçavoir combien de temps il peut estre sans se corrompre, si l'on n'en fait plusieurs experiences, que l'on peut faire hors de l'eau , car si dix pieds cubes d'air suffisent à un homme, sans qu'il soit besoin de le changer, il est aisé de conclurre combien il en faut pour dix ou cent hommes, qui seront enfermez dans le navire, & qui ne pourront user de voiles, car il se faut servir de rames, ou de semblables inventions, dont je ne veux pas icy parler, d'autant que tout ce qui appartient à ceste maniere de navigation merite un traicté particulier. L'on peut cependant considerer si les Acolipiles peuvent servir pour renouveller l'air, & pour changer l'eau en air, ou pour faire monter & descendre le navires ou pour le faire marche , & pour nettoyer, & purifier l'air de dedans & s'il y a moyen de descendre au fond de l'eau pour puiser, & recouvrer les choses qui ont esté perduës, sans qu'il entre de l'eau dans ledit navire.
Marin Mersenne Questions inouës ou récréation des savants
Paris, 1634.
|