Ce qu'il falloit trouver...
Je desirerois que l'on n'escrivist jamais nulle experience qui ne fust veritable, & que ceux qui font des livres de quelque matiere que ce soit, ne se servissent point de ce qui est faux, car encore que les conclusions qu'ils tirent de ces faussetez puissant estre veritables d'ailleurs, & que le mensonge ne doive apporter nul prejudice à la verité, neantmoins plusieurs lecteurs ou auditeurs sont si delicats, si pointilleux, & si sensibles qu'ils ne peuvent ouir ou lire ce qui est fondé sur le mensonge, ou qu'ils n'en font nul estat, croyant que l'on n'a pas mieux examiné les conclusions que les principes, ny la seconde partie de la comparaison, que I'on appelle reddition, que la premiere.
Or cecy est arrivé à plusieurs grands personnages, par exemple à Monsieur de Sales, qui comparant les choses Morales aux proprierez de l'aymant dans le 14. chapitre de son Theotime, dit que le diamant mis entre l'aymant & le fer empesche son operation, dont il dit encore qu'il est privé apres qu'on la frotté d'ail, quoy que l'un & l'autre soit entierement contraire aux veritables experiences que nous en avons faites. L'on devroit du moins experimenter les choses qui sont tres-faciles, comme sont celles-cy, & plusieurs autres, avant que de les escrire pour les publier, comme sont celles de ceste question, dont la premiere appartient au fer chaud, qui n'est point plus leger que quand il est froid, encore qu'il soit tout rouge & enflammé : ce qu'il faut semblablement remarquer pour les corps morts, qui ne sont pas plus pesans que quand ils sont en vie, comme nous avons experimenté : encore que plusieurs qui sont preoccupez de l'opinion contraire, ne le puissent croire : quoy que la raison persuade assez facilement qu'ils ne doivent pas plus peser morts que vifs, puisque la vie & la chaleur ne sont legeres ny pesantes.
Quant au pain, il est plus pesant quand il est chaud, & qu'il vient du four, que quand il est refroidy, comme l'on experimente. Il faut donc premierement remarquer qu'une demie livre de paste sans levain est plus legere cuite que crue de 12. gros & 1/2 qu'une demie livre de paste levée est plus legere cuite que crüe de 2. onces & 1/4, consequemment qu'elle perd davantage de sa pesanteur dans le four de 5 gros & 1/2 que la paste sans levain. Cecy se doit entendre du pain qui est encore tout chaud ; car quand il est froid, il pese moins de 3/4 de gros, ou environ ; ce qui monstre que l'opinion de ceux qui disent qu'il est plus pesant froid que chaud, est fausse : Mais j’expliqueray la raison de ces experiences dans un autre lieu, & avertiray cependant qu'il faut aussi bien douter des experiences qu'Aristote propose, que des autres, par exemple de celle dont il parle sur ce suject dans le 5 Probleme de la 21. section, où il avouë que le pain froid qui est salé, est plus leger que le chaud ; mais il ajoute que celuy qui n'est pas salé est plus pesant : ce qui est faux, s'il entend que de deux pains qui sont de mesme pesanteur, estant chauds , celuy qui est salé devient plus leger estant froid, car l'experience enseigne qu'ils sont tousjours de mesme pesanteur depuis qu'ils sont tirez du four : & bien qu'à la premiere experience ils se soient trouvez plus legers froids que chauds, neantmoins une autre experience a fait voir qu'ils demeurent tousjours de mesme pesanteur, tant froids que chauds, soit qu'on les sale ou qu'on ne les sale pas : Mais la paste salée pese davantage d'un quart d'once & un demy gros sur une demie liure, quand on a sale d'un quart d'once de sel : de sorte que la pesanteur du sel ne se perd point au four, & ne consomme point l'humidité du pain. Or l'on peut rapporter la diversité de ces deux experiences à la differente cuitte du pain, car il s'est trouvé plus cuit, plus sec, & plus bruslé dans la seconde experience : mais elle suffit pour faire voir que ce que dit Aristote n'est pas veritable.
Marin Mersenne Questions inouës ou récréation des savants
Paris, 1634.
|