Ce qu'il falloit trouver...
Encore qu'il importe fort peu comme l'on escrive, pourveu que l'on entende ce qui est escrit, & que l'on die que toutes les Provinces de la Chine usent d'un mesme charactère pour le faire entendre , quoy qu'elles n'entendent nullement le langage les ynes des autres, neantmoins il semble que l'on seroit mieux de n'user que des lettres qui se doivent prononcer, afin de conformer l'escriture à la parole, comme la parole à la pensée : de là vient que plusicurs commencent à escrire comme l'on parle, par exemple, ils mettent la lettre à dans tous les lieux où e se prononce comme a, comme annemy & Parlemant,au lieu d'ennemy, &
Parlement, & ostent tous les b, les c, les s, & les t qui ne se prononcent pas.
Mais ceux qui veulent que l'on retienne l'origine de nostre langue, & que l'on se souvienne tousiours qu'elle vient du Latin, les estiment barbares, & retiennent toujours les dicts & les faicts, au lieu que les autres escrivent les dis & les fais, &c. Quant à moy i'estime qu'il est plus à propos d'eviter toute sorte de superfluité, & de n'user pas de 5. ou 6. lettres, ou il n'en faut que 3. ou 4. de mesme que l'on ne doit pas user de 5. ou 6. paroles, où il n 'en faut qu'vne ou deux, afin d'imiter la nature qui suit le chemin le plus court quand elle agit. Ce que i'entends lors que cela se peut faire commodement, & qu'en le faisant, l'on n'offence personne : car il est certain que nous prononçons plusieurs dictions, qui ne se peuvent escrire, comme elles sont proférées, par exemple, l'on ne peut escrire avec nos characteres ordinaires la troisiesme personne pluriere du preterit imparfait de nos verbes sans y mettre des lettres superflues qui ne se prononcent pas, comme l'on void en ces deux mots, ils devoient, ils rendoient, dans lesquels les six dernieres lettres ne font qu'yne syllabe, de sorte qu'il faudroit les escrire avec une ê circonflexe en ceste façon devêt, rendet, pour les prononcer comme l'on parle maintenant. C'est à quoy Baif essaya à remedier sous Charles IX & Henry III ce qu'ont encore fait depụis luy le sieur de la Val, dans sa Paraphrase des Psalmes, le Père Monet dans son Dictionaire, & quelques autres. Mais ils n'ont peu remedier à tout, car il n'est pas ,ce me semble, possible d'escrire les mots qui se terminent en on comme l'on les prononce, d'autant que la derniere lettre n ne s'entend nullement, & neantmoins l'on entend quelque chose davantage que la lettre o, qui n'est ny o ny n, ny voyelle, ny consone, comme chacun peut experimenter en prononçant comme il faut bon, ton, &c. Or puisque tout cecy ne change rien dans ce qui appartient au raisonnement & à la Philosophie, il faut laisser la liberté à vn chacun d'escrire comme il luy plaira (pourveu qu'il se rende intelligible) & d'imiter la prudence de ceux qui parlent comme plusieurs, quoy qu'ils se reservent le sentiment des plus iudicieux. . .
Corollaire
Puisque l'on ne peut sçavoir comme se doivent prononcer nos dictions Françoises, si l'on n'en apprend la prononciation de vive voix, il y a grande apparence que l'Hebreu, le Grec, & le Latin ont la mesme difficulté, & que nous le prononçons autrement que les Hebreux, les Grecs & les Romains anciens : car si la maniere de prononcer se change si souvent en France, l'on peut dire la mesme chose des autres nations : de là vient qu'il n'est pas veritable qu'en prononçant le Latin, le Grec, l'Italien ou l'Espagnol comme il est escrit, que I'on le pronoce comme il faut, & que tous ces peuples nous estiment barbares en nous oyant, encore que nous parlions en leur langue dont l'experience est si frequente, qu'il n'est pas besoin d'en advertir.
Marin Mersenne Questions inouës ou récréation des savants
Paris, 1634.
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